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La France et l’intelligence économique : passage à l’offensif !

Si la France a longtemps fait preuve d’une grande naïveté, elle prend enfin le sujet de l’intelligence économique à bras le corps et l’impulsion politique est à l’oeuvre. 

Depuis 2016, l’Etat a réalisé des efforts manifestes pour se structurer en matière de sécurité économique notamment avec une posture défensive. 

Le contexte économique très agressif que nous connaissons, avec 900 attaques en 2023 contre 694 alertes de sécurité en 2022, nous oblige désormais à renforcer nos actions en matière d’intelligence économique et à adopter une posture offensive.

Patrimoine scientifique et technique, intelligence artificielle, normes, ingérences étrangères, influence, guerre de l’information et industrie de défense : comment la France va t-elle se positionner ? 

Quels sont les enjeux à adresser ?

Comment renforcer les actions territoriales ? 

Quelles pistes de développement pour des axes de formation adaptés ? 

Quelles sont les mesures qui vont être mises en oeuvre ? Quel chemin doit encore être parcouru pour rester dans la course et tenter de retrouver le 5e rang des puissances mondiales que nous occupions par le passé ? 

Eléments de réponses avec vos invités lors de la 28e édition des Jeudis de la sécurité.

Jean-Baptiste Lemoyne, Ancien ministre, sénateur et vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

  • Depuis 2019, la France adapte son approche de l’intelligence économique. Elle a renforcé son arsenal défensif et s’est dotée d’une politique et d’une doctrine de sécurité économique. Dans le rapport co-rédigé avec Marie-Noëlle Lienemann, nous appelons désormais à la mise en œuvre d’une approche beaucoup plus offensive de l’IE, pour en faire un outil de « competitive intelligence ».
  • Domaine transversal et interministériel par nature, l’IE nécessiterait la création d’un Secrétariat général à l’intelligence économique rattaché au Premier ministre pour assurer la coordination entre les acteurs, et la liaison avec les services de police au plus haut niveau de l’Etat. 
  • La stratégie d’IE doit également être territorialisée et impliquer plus activement les collectivités territoriales au-delà des délégués régionaux. Par exemple par des sous-préfet référents dans chaque département. De même les PME, ETI, chambres de commerce et d’industrie dans les territoires doivent être plus et mieux sensibilisées.
  • Adopter une démarche offensive nécessitera aussi d’instaurer une culture collective de l’IE irriguant tous les secteurs et tous les échelons.
  • Le rôle du parlement doit être renforcé notamment sur le sujet des IEF avec des modalités d’information du Gouvernement au Parlement en matière d’investissements étrangers en France (IEF). La publication du rapport annuel relatif au dispositif IEF pourrait donc faire l’objet d’un débat devant le Parlement.

Joffrey Célestin-Urbain, directeur du Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE)

  • La menace étrangère sur nos actifs stratégiques s’est nettement intensifiée en 2023 avec 968 alertes, en augmentation de 40 % par rapport à 2022. Les biotechnologies sont le secteur le plus visé (16 % des alertes), suivi des transports (15 %), du numérique (14 %) et de l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation. 
  • Il est parfois difficile de distinguer ce qui relève de la sécurité ou de la guerre économique En la matière, les alliances et clivages géostratégiques et militaires tendent à se dissiper. Il ne faut pas avoir – et il n’y a pas – de pudeur dans la réponse à la menace, même si cette dernière vient d’un pays « ami ».
  • Pour riposter à la menace, la France s’est doté d’outils de sécurité économique : un régime de contrôle des investissements étrangers en France (IEF), désormais utilisé de façon assumée, et le renforcement de la loi de blocage de 1968, qui permettent à la France de « parler le langage de la souveraineté » face à des autorités étrangère offensives.

Nicolas Houel, directeur du centre d’analyse économique et stratégique à la direction des Affaires publiques de Dassault Aviation

  • La menace qui pèse sur ce secteur stratégique qu’est l’industrie de défense est multliforme, venant tant de concurrents internationaux que de certains Etats : fuite et vol de données, ingérence (économique, institutionnelle), attaque physique (sabotage, cyber). 
  • Une approche offensive de l’IE passe par la connaissance et la maîtrise du renseignement pour préparer l’action. L’IE est aujourd’hui la seule façon de vendre dans un environnement concurrentiel, et son usage à bon escient est nécessaire à la survie de l’entreprise.
  • Le développement d’une culture de l’IE en France est ralenti à la fois par l’absence de véritable culture du renseignement, et par une conception de l’information qui freine le partage d’informations. 

Maï-Linh Camus, CEO de Prisme Intelligence

  • La sensibilisation des dirigeants aux risques et menaces de sécurité économique, quels que soient leur secteur d’activité ou la taille de leur entreprise, est indispensable pour faire avancer la prise de conscience de ces enjeux. 
  • Au service des dirigeants, l’IE devient un puissant outil de renseignement d’affaires qui leur permet de s’adapter rapidement à leur environnement, d’éviter certaines situations comme une mauvaise alliance partenariale, de maîtriser leur écosystème et d’être plus compétitif. 
  • Et des entreprises compétitives, moins susceptibles de se tourner vers des financements étrangers, sont un gage de souveraineté.
  • Souvent insuffisamment accompagnés dans la pratique du renseignement d’affaires, les dirigeants peuvent mobiliser et impliquer leurs ressources internes, à commencer par leurs collaborateurs. Les associer aux missions de veille peut leur permettre d’obtenir une vue ensemble sur leur environnement et de créer un cercle de confiance favorable au partage d’informations.

François-Jeanne Beylot, Président du Syndicat Français de l’intelligence économique

  • L’intelligence économique ne doit pas être abordée par le seul biais défensif et présentée comme une contrainte mais comme un état d’esprit, un outil de décisions qui permet de rendre les entreprises plus efficaces, plus rentables et moins vulnérables.
  • L’IE est une opportunité et chacun à la responsabilité de s’informer et d’informer, car c’est en veillant à la pérennité de chaque entreprise, que l’on renforce l’économie française dans son ensemble et, par là même, la souveraineté.
  • Pour sensibiliser efficacement et faire avancer une culture de l’IE, il faut promouvoir l’IE « à la française », développer une approche qui fasse écho à notre culture. Plutôt que de se calquer sur ce qui se fait ailleurs, mettre en avant nos réussites et les exemples de préservations de fleurons français. 
  • La Francophonie peut être une piste intéressante pour l’IE

Julie Duclercq, PDG de Ternwaves

  • Le pillage de propriété industrielle prend plusieurs formes : attaques sur les brevets, imposition de clauses ITAR (International Traffic in Arms Regulations), directement ou par « contamination », ou autres clauses contractuelles prévoyant le partage des résultats de recherche dans le cadre d’appels d’offres européens par exemple. 
  • Ces risques doivent être pris en compte dès la création de l’entreprise et faire l’objet d’une véritable stratégie de propriété industrielle qui ne se limite pas au dépôt de brevets. Publics et facilement attaquables par des entreprises plus solides, ils doivent être rédigés rigoureusement et s’accompagner notamment d’une démarche de protection du secret industriel. 
  • Une approche encore trop peu développée en France et dont les entreprises n’ont souvent ni les moyens, ni les formations nécessaires.

Des échanges qui témoignent d’un changement de portage en matière d’intelligence économique en France. Après la prise de conscience, vient le temps de l’action plus offensive et d’une stratégie transverse portée au plus haut niveau de l’Etat. Renforcer la culture nationale et européenne de l’intelligence économique est vitale pour se protéger des ingérences et autres menaces en forte croissance, mais aussi et surtout pour prendre l’avantage. Un avantage concurrentiel au service de la compétitivité et de la souveraineté de nos entreprises.

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